NOTE D'INFORMATION AUX COURTIERS

L’incorporation convient-elle à ma situation d’un point de vue fiscal ou ce qu’un courtier agissant pour une agence devrait connaître avant d’envisager exercer ses activités au sein d’une société par actions

(Mis à jour d’un article publié le 13 décembre 2011 et modifié le 23 janvier 2012 – Voir note en bas de page)

Source : Me Alain Ranger de chez Fasken Martineau

Depuis le1er janvier 2012, un courtier qui agit pour une agence peut exercer, conformément aux conditions, modalités et autres règles imposées par la Loi sur le courtage immobilier et déterminées par l’OACIQ, ses activités au sein d’une société par actions dont il a le contrôle.

L’incorporation offre certainement des avantages, mais elle comporte également des inconvénients et ces avantages et inconvénients sont différents selon la situation particulière de chaque courtier.

Certaines questions de base en matière de fiscalité sont pertinentes dans le cadre d’une réflexion quant à l’opportunité ou non d’incorporer son activité commerciale. Les informations qui suivent sont cependant de nature générale seulement et il ne s’agit pas d’un avis de nature fiscale adressé à un courtier ou à un groupe de courtiers particuliers. Ces quelques éléments discutés ci-dessous ne prétendent pas non plus épuiser toutes les considérations fiscales qui pourraient être pertinentes dans le cadre de l’analyse. Ce texte se veut juste un point de départ à une réflexion, c’est-à-dire, tout courtier envisageant d’incorporer sa pratique devrait au préalable réfléchir aux aspects suivants.

1. Quel est le niveau de revenu dont j’ai besoin pour conserver mon rythme de vie?

L’un des principaux avantages fiscaux découlant de l’incorporation des activités professionnelles d’un courtier est la possibilité de bénéficier du taux d’imposition favorable applicable aux bénéfices d’exploitation gagnés par une société. Par exemple, une société qui est admissible à la déduction pour petites entreprises aurait bénéficié en 2015 d’un taux d’imposition de 19 %, comparativement au taux d’imposition de 49,97 % applicable à la tranche de revenu assujettie au taux d’imposition marginal maximal d’un individu1. Si la société ne peut bénéficier de la déduction accordée aux petites entreprises parce qu’elle exploite une entreprise de prestation de services personnels (voir 2 ci-dessous), le taux d’imposition aurait alors été de 39,9 %.

Ces économies d’impôt, toutes attrayantes qu’elles peuvent l’être, ne sont cependant réelles qu’à l’égard des sommes qui demeurent au sein de la société. Si tous les profits générés par les activités de la société sont nécessaires pour maintenir le niveau de vie du courtier, les bénéfices réalisés au sein de la société devront être versés par la société au courtier soit sous forme de salaire ou boni, déductible au niveau de la société, soit sous forme de dividendes imposables. L’incorporation de la pratique professionnelle pourra alors se traduire par un coût fiscal accru pour le courtier qui a besoin de tous les profits générés par l’activité économique puisqu’il devra tenir compte de l’impôt personnel payable sur ces revenus reçus de la société. Le résultat net de l’opération pourrait ainsi être que le montant net après impôts corporatifs et personnels qu’il conservera sera sensiblement identique, voire moindre, que celui dont il bénéficiait avant l’incorporation.

Dans le cadre de l’analyse, il est également important de prendre en compte les coûts additionnels engagés par l’opération. L’incorporation consiste en l’ajout d’une société par actions par le biais de laquelle les activités seront exercées. La création d’une société engendre des coûts afférents à son incorporation et à sa conformité auprès des autorités fiscales et corporatives. La tenue de livres, la préparation d’états financiers et de déclarations annuelles de revenu, le respect des obligations de suivi annuel auprès du Registraire des entreprises, la rédaction des résolutions annuelles et des déclarations de dividende le cas échéant sont des exemples de coûts afférents à l’exploitation normale d’une société. En ce sens, si les montants que l’on estime pouvoir conserver dans la société et les avantages fiscaux reliés ne sont pas suffisants pour compenser ces coûts d’exploitation, l’incorporation pourrait ne pas être la solution la plus adaptée aux besoins du courtier.

2- Quelle est la relation entre le courtier, la société et l’agence et quelle est la nature du revenu gagné par la société?

Dans la mesure où la société est considérée comme exploitant une « entreprise de prestation de services personnels » aux fins des lois fiscales, elle ne pourra bénéficier de la déduction accordée aux petites entreprises et ses déductions admissibles dans le calcul de son revenu seront limitées. De plus, la société qui exploite une entreprise de prestation de services personnels ne peut bénéficier de la réduction du taux général d’imposition dont profitent la plupart des sociétés exploitant une entreprise active. Ainsi, en 2015, les entreprises de prestation de services personnels étaient assujetties à un taux d’impôt de 39,9 %.

Une entreprise de prestation de services personnels existe lorsqu’un particulier fournit des services pour le compte d’une société à une agence et qu’il est raisonnable de considérer que le courtier serait un employé de l’agence à qui les services sont rendus si ce n’était de l’existence de la société. Il existe un risque que la société soit considérée, suite à l’incorporation de la pratique de courtage, comme exploitant une « entreprise de prestation de services personnels » si le courtier exerçait ses activités, avant incorporation, à titre d’employé de l’agence et que la relation d’affaire qui existait entre le courtier et son ancien employeur n’a pas réellement changé suite à l’incorporation de la pratique. En ce sens, il sera important de déterminer ce statut avant d’entreprendre toute démarche d’incorporation.

3- Quelle est l’utilisation projetée des économies d’impôts conservées par la société?

Bien que les économies d’impôt qui peuvent être conservées au sein de la société puissent en justifier l’existence dans certains cas, l’utilisation ultime qui sera faite de ces sommes doit également être considérée dans le cadre de l’analyse de l’opportunité d’utiliser une société par actions pour exercer les activités de courtage.

Si les économies ainsi accumulées au sein de la société sont utilisées pour effectuer des placements qui engendrent un revenu passif pour la société, par exemple un revenu d’intérêt ou de dividende, la société aurait, en 2015, été imposée initialement à un taux de 46,6 % et de 33,33 % respectivement, comparativement à un taux de 49,97 % pour un individu assujetti au taux d’imposition marginal maximal. L’économie d’impôt sur le revenu passif gagné par la société peut donc devenir marginale selon le cas et la période de conservation des sommes au sein de la société avant distribution au courtier sous forme de dividende imposable devient alors un autre élément à prendre en considération.

L’importance des économies d’impôt réalisées par l’activité professionnelle peut cependant faciliter l’acquisition d’investissements à croissance de valeur, par exemple des actions de sociétés cotées en bourse ou des immeubles locatifs. L’économie d’impôt permet donc un important effet de levier pour l’accumulation de capital, le tout dépendant encore une fois de la période durant laquelle on envisage laisser les sommes au niveau de la société.

4- Puis-je faire du fractionnement de revenu?

L’un des autres avantages fiscaux liés à l’exploitation d’une entreprise par le biais d’une société par actions consiste en le fractionnement de revenu. Essentiellement, le fractionnement permet de faire gagner du revenu par des individus dont le taux d’imposition est moins élevé que celui auquel est assujetti l’individu qui gagnerait normalement le revenu. Par exemple, si un conjoint qui n’a pas de revenu par ailleurs perçoit un dividende de la société du courtier, l’impôt net qui sera payable sera inférieur à celui qui aurait été payable par le courtier s’il l’avait reçu. Le fractionnement n’est cependant généralement permis qu’avec des personnes majeures de sorte que l’incorporation ne serait normalement pas justifiée aujourd’hui si le facteur décisif est de faire du fractionnement au moyen de dividende imposable avec des enfants dont la majorité ne sera atteinte que dans une dizaine d’années par exemple.

Ces quelques éléments peuvent être utiles dans la réflexion et peuvent aider à déterminer si l’incorporation s’avère aujourd’hui un outil utile d’un point de vue fiscal pour vos activités professionnelles.

Tout courtier pour qui l’incorporation de l’activité professionnelle est possible est cependant fortement invité à consulter un professionnel de la fiscalité afin d’évaluer précisément sa situation et déterminer l’impact de l’incorporation sur ses activités professionnelles et sur sa vie personnelle et financière.

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Note:
1 Le gouvernement du Québec a annoncé dans son budget de mars 2015 que la déduction pour petites entreprises serait réservée aux sociétés ayant plus de trois employés à temps plein à partir de 2017. Le taux d’imposition des sociétés incorporées par des professionnels s’en trouverait augmenté d’environ 4 % sur les premiers 500 000 $ de revenus engendrés par la société.

Dernière mise à jour : 04 décembre 2015
Numéro d'article : 200530