Vente d'actions : avez-vous le droit?

Les titulaires de permis peuvent être appelés à agir comme intermédiaires pour la vente ou l'achat d'une entreprise. Dans ce type de transactions, divers scénarios sont pris en considération, dont la vente d'actifs ou la vente d'actions, pour déterminer quelle avenue est la plus avantageuse tant pour le vendeur que pour l’acheteur. L'option choisie peut ainsi avoir des répercussions importantes sur le droit de l’agence ou du courtier immobilier de percevoir une rétribution. Les décisions des tribunaux commentées ci-après en constituent une bonne illustration. C'est pourquoi les titulaires de permis doivent être vigilants, car certaines transactions pourraient tomber sous l'égide de la Loi sur les valeurs mobilières.

La Loi sur le courtage immobilier et la Loi sur les valeurs mobilières

La Loi sur le courtage immobilier trouve application dans le cadre des opérations prévues à ses  articles 1 et 1.1 :

1. Pour l'application de la présente loi, est un contrat de courtage immobilier  :

  1. le contrat par lequel une partie, le client, en vue de conclure une entente visant la vente ou la location d’un immeuble, charge l’autre partie d’être son intermédiaire pour agir auprès des personnes qui pourraient s’y intéresser et, éventuellement, faire s’accorder les volontés du client et celles d’un acheteur, d’un promettant-acheteur ou d’un promettant-locataire;
     
  2. le contrat par lequel une partie, le client, en vue de conclure une entente visant l’achat ou la location d’un immeuble, charge l’autre partie d’être son intermédiaire pour agir auprès des personnes qui offrent un immeuble en vente ou en location et, éventuellement, faire s’accorder les volontés du client et celles d’un vendeur, d’un promettant-vendeur ou d’un promettant-locateur.

N’est pas un contrat de courtage immobilier visé par la présente loi celui par lequel l’intermédiaire s’oblige sans rétribution.

1.1 Pour l’application de l’article 1 :

1) est assimilé à un immeuble :

a) la promesse de vente d’un immeuble;

b) une entreprise, lorsque ses biens, selon leur valeur marchande, sont principalement des biens immeubles;

c) une maison mobile placée sur un châssis, qu’elle ait ou non une fondation permanente;

2) l’échange est assimilé à la vente.

La Loi sur les valeurs mobilières édicte à son article 148 que nul ne peut agir à titre de courtier ou de conseiller à moins d’être inscrit à ce titre auprès de l’Autorité des marchés financiers. Suivant l’article 149 de cette loi, les personnes physiques qui agissent pour le compte d’un courtier ou d’un conseiller doivent être inscrites à titre de représentant. L'article 5 de cette loi définit le courtier comme étant :

« toute personne qui exerce ou se présente comme exerçant les activités suivantes :
1° des opérations sur valeurs comme contrepartiste ou mandataire;
2° le placement d’une valeur pour son propre compte ou le compte d’autrui;
3° tout acte, toute publicité, tout démarchage, toute conduite ou toute négociation visant même indirectement la réalisation d’une activité visée au paragraphe 1° ou 2°; (…)
»

Ces deux lois sont d'ordre public, ce qui signifie qu'on ne peut y déroger, même par convention entre les parties. C'est pourquoi toute personne qui agit comme intermédiaire lors de la vente d'une entreprise dont les biens, selon leur valeur marchande, sont principalement des biens immeubles doit être titulaire d'un permis délivré en vertu de la Loi sur le courtage immobilier. En effet, la vente d'entreprise dans ces circonstances est prévue à l'article 1 précité de cette loi. Quant au droit à la rétribution de l’agence ou du courtier immobilier lors d'une vente sur le capital-actions d'une personne morale, les tribunaux ont analysé les deux situations types que nous vous présentons.  Il est à noter qu’au moment où ces jugements ont été rendus, la définition du champ d’application se lisait différemment.

Présence d'un contrat de courtage portant sur des actions

La Cour d'appel s'est prononcée sur la question de la vente d'actions par une agence immobilière. Il s'agit de l'affaire Pouliot c. Trust Royal. Dans cette affaire, le courtier immobilier du Trust Royal avait été chargé par Pouliot de vendre la totalité des actions qu'il détenait dans la compagnie Air Gaspé Inc. Le courtier a exécuté le travail et le tout s'est terminé par la vente des actions à la compagnie Québecair.

À la suite de cette vente, le Trust Royal a réclamé une rétribution de Michel Pouliot. La Cour d'appel a décidé que l’agence n'avait pas droit à sa rétribution puisqu'elle n'était pas inscrite en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières. Un second jugement, émanant cette fois de la Cour supérieure dans Gagnon c. Robert Girard et Ass. Inc., réitère la position adoptée dans l'affaire Pouliot.

Présence d'un contrat de courtage portant sur une vente d'actifs... se terminant en vente d'actions

La décision de la Cour d'appel dans l'affaire Kurtz c. Tingley Ltd. illustre bien ce cas. Les parties avaient signé une entente par laquelle Kurtz s'engageait à payer à Tingley Ltd. 50 % de la rétribution totale à titre de « finder's fee » pour le remercier de l'avoir mis en contact avec Robin Hood Multifoods Ltd., compagnie intéressée à acheter S. Coorsh & Sons Ltd. La transaction a finalement eu lieu sous forme de vente d'actions.

Dans cette affaire, bien que Tingley Ltd. n'était pas inscrite auprès de la Commission des valeurs mobilières, prédécesseure de l’Autorité des marchés financiers, le tribunal a accordé à celle-ci le droit de percevoir une rétribution. Le juge a considéré que bien que la transaction impliquait des valeurs mobilières et que la Loi sur les valeurs mobilières s'appliquait, le contrat intervenu entre les deux parties était d'une toute autre nature. En effet, l'entente entre les parties avait pour objet la vente d'une entreprise commerciale. Ce n'est qu'accessoirement que cette vente s'est réalisée par l'aliénation de ses actions plutôt que par celle de ses actifs. Bref, les services ont été retenus non pas pour les fins d'une vente de valeurs mobilières mais pour la recherche d'un acheteur pour une entreprise.

Une décision, en 1984, de la Cour supérieure a aussi donné raison à l’agence dans l'affaire Berger c. Saint-Jean. Dans cette cause, Saint-Jean avait été chargé de vendre l'immeuble et l'équipement d'une brasserie. Il y a eu signature d'une promesse d'achat, mais les parties ont décidé de transformer la vente d'immeuble en vente d'actions, en raison d'implications financières.

Comme dans la précédente affaire, le tribunal a accordé à l’agence immobilière le droit à sa rétribution pour des motifs semblables. Entre autres, le juge a décidé que le fait de vendre les actions au lieu des actifs était simplement une modalité d'exécution de la promesse d'achat. La promesse d'achat prévoyait la vente de l'immeuble et de l'équipement, et non des actions. Enfin, le juge a ajouté qu'il fallait rechercher le rôle qu'avait véritablement joué le courtier immobilier. Les mêmes principes ont été appliqués en 1995 et en 1997 dans les causes Immeubles Action Ltée c. Perron et 2945-9609 Québec inc. c. Leblond.

Conclusion

Pour rendre leurs décisions quant au droit à la rétribution des titulaires de permis en cause, les tribunaux ont tenu compte que la Loi sur les valeurs mobilières édicte que nul ne peut agir à titre de courtier ou de conseiller à moins d’être inscrit à ce titre auprès de l’Autorité des marchés financiers. La situation semble moins claire lorsqu'un contrat de courtage conclu entre une agence ou un courtier immobilier et une personne morale porte sur des actifs et se matérialise par une vente d'actions.

Les tribunaux qui ont eu à se pencher sur la question du droit d'une agence immobilière à recevoir une rétribution à la suite d’une vente d'actions ont alors concentré leur attention sur les tâches reliées au contrat conclu avec l’agence immobilière, indépendamment du fait que la transaction se soit terminée par une vente d'actions.

Il faut rechercher la véritable nature de l'opération juridique effectuée par l’agence ou le courtier immobilier. Il est donc nécessaire que le contrat de courtage soit rédigé de façon claire et très précise car en cas de litige, comme nous venons de le voir, ce document servira de base au tribunal pour se prononcer sur la nature des services rendus et par conséquent sur le droit de l’agence ou du courtier à sa rétribution.

Quant à l'application et l'interprétation de la Loi sur les valeurs mobilières, il est important de consulter l’Autorité des marchés financiers, chargée de l'administration de cette loi, au www.lautorite.qc.ca.

Dernière mise à jour : 10 juillet 2018
Numéro d'article : 122359