La résiliation du bail de plein droit suite au défaut d’exploiter un commerce
Le 13 octobre 2021, la Cour d’appel s’est penchée sur la validité de la résiliation extrajudiciaire du bail entre 9518002 Canada inc. (le Locateur) et 9745866 Canada inc. (le Locataire) suite au défaut de cette dernière d’occuper et d’exploiter un local commercial plus d’un an après la prise de possession.
Les faits
Le 22 janvier 2016, le Locateur a conclu un bail avec un tiers qui s’engage à exploiter une pharmacie dans un local d’un immeuble à construire. En mai 2016, ce tiers avise le Locateur qu’il cède au Locataire ses droits dans ce bail.
Cette location commerciale s’inscrivait dans le cadre d’un projet de super-clinique médicale visant à offrir divers services médicaux complémentaires. Cependant, considérant que la construction de l’immeuble n’était pas encore commencée au moment de la signature du bail, le début de l’exploitation de la pharmacie n’y était pas spécifié. Toutefois, il y était prévu que les loyers commenceraient à être payés trois mois après la prise de possession du local par le Locataire.
Le bail, d’une durée initiale de 15 ans assortie d’options de renouvellement, spécifiait notamment :
« 35 - Le locateur pourra, à son gré et de plein droit, résilier sur-le-champ (sans autre préavis préalable) le présent contrat dans les cas suivants :
[…]
i. si le locataire modifie la destination des lieux loués, sans avoir obtenu au préalable l’autorisation écrite du locateur. »
Le 1er mai 2017, le Locataire prend finalement possession du local et les paiements de loyer commencent comme prévu le 1er août 2017. À la suite de la réalisation d’améliorations locatives, le local est enfin prêt à accueillir la pharmacie en novembre 2017, mais le local demeurera cependant inoccupé une fois les travaux terminés.
Le 26 juillet 2018, soit plus d’un an après la prise de possession, le Locateur décide de mettre le Locataire en demeure d’exploiter une pharmacie commerciale dans le local dans un délai de 10 jours sous peine de résiliation du bail, ce que ce dernier ne fera pas.
Le 20 août 2018, le Locateur transmet enfin un avis de résiliation du bail dans lequel il accorde à l’appelante un délai de 10 jours pour quitter les lieux.
Jugement de la Cour supérieure attaqué
En première instance, la juge Carole Therrien confirme la légalité de la résiliation extrajudiciaire du bail par le Locateur en raison de la clause permettant la résiliation de plein droit en cas de changement de destination des lieux loués par le Locataire. En effet, « l’exploitation de la pharmacie était une obligation essentielle du contrat intervenu entre les parties et le défaut de la respecter équivaut à un changement de destination ». Elle conclut donc que le Locateur était justifié de mettre un terme au contrat, car l’absence d’exploitation de la pharmacie par le Locataire un an après la prise de possession du local constitue un défaut important.
Confirmation par la Cour d’appel
Tout d’abord, la Cour rappelle que la résiliation judiciaire est la règle en matière de bail1, comme stipulé dans le Code civil du Québec :
1863. L’inexécution d’une obligation par l’une des parties confère à l’autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l’exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l’inexécution lui cause à elle-même ou, s’agissant d’un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
Cependant, les parties sont libres de prévoir contractuellement des circonstances donnant ouverture à une résiliation du bail de plein droit, tel qu’il fut le cas à la clause 35(i) du bail.
Ainsi, une partie peut résilier un contrat « sans action judiciaire lorsque le débiteur est en demeure de plein droit d’exécuter son obligation » ou s’il est en défaut de l’exécuter dans le délai indiqué dans la mise en demeure transmise2. Cependant, la résiliation ne sera possible qu’en cas de défaut important ou, s’il s’agit d’une obligation successive, répétitif3.
Dans son jugement, la Cour d’appel confirme que le fait que la pharmacie n’était pas encore ouverte plus d’un an après la prise de possession du local, constituait un manquement important aux obligations du Locataire assimilable à un changement de destination des lieux au sens de la clause 35(i) et justifiant la résiliation de plein droit du bail.
Bien qu’en l’espèce, le bail ne prévoyait pas de date précise pour l’ouverture de la pharmacie, les parties avaient convenu d’un délai de trois mois entre la prise de possession du local et le paiement du premier loyer afin de permettre au Locataire de compléter les aménagements locatifs requis pour gérer la pharmacie. En principe, l’ouverture pouvait donc se faire dès la fin des travaux en novembre 2017.
Sans se rallier à la théorie du « Anchor tenant » qui permet au propriétaire de forcer le locataire clé d’un immeuble à exploiter son commerce en raison de la forte dépendance économique entre les parties, la Cour d’appel souligne que l’exploitation de la pharmacie était un service essentiel pour le propriétaire. En ne respectant pas son obligation d’occuper et d’exploiter les lieux loués, le Locataire a causé un préjudice sérieux au Locateur, car l’inoccupation des lieux a eu pour effet de rendre le projet moins attrayant à la fois pour les clients et les locataires potentiels.
Aussi, l’absence de clause obligeant le Locataire à occuper en continu les lieux loués n’était pas déterminante, car la notion d’exploitation présuppose que la pharmacie devait être en activité dans le local loué pendant la durée du bail.
Enfin, la Cour d’appel reconnaît que le court délai de 10 jours alloué au Locataire pour débuter l’exploitation de la pharmacie était sans conséquence, étant déjà en demeure par l’effet de la loi en raison de sa violation répétée d’une obligation successive et du fait qu’il avait manifesté son intention de ne pas respecter ses obligations.
Conclusion
Tel que le démontre cette décision, le défaut d’exploiter un local commercial constitue une inexécution des obligations du bail pouvant causer un préjudice sérieux au locateur. Dans ces circonstances, le locateur pourra habituellement faire une demande en justice afin de résilier le bail. Cependant, en présence d’une clause précise référant aux situations visées, l’inoccupation de locaux pour une période significative pourrait être assimilée à une modification de la destination des lieux loués permettant de résilier le bail de plein droit.
Le texte intégral de la décision peut être consulté ici.
1Place Fleur de Lys c. Tag’s kiosque inc., 1995 CanLII 5555 (QCCA)
2Article 1605 C.c.Q.
3Article 1604 C.c.Q.