Le loyer commercial en situation de pandémie : jugement à consulter
La pandémie de COVID-19 a bouleversé plusieurs secteurs d’activités commerciales au Québec en 2020, notamment la vente au détail, les services et la restauration.
Les répercussions économiques engendrées par les mesures d’exception liées à la pandémie ont incité les locateurs et locataires à discuter et à renégocier les termes des baux commerciaux afin de préserver les relations d’affaires et les liens contractuels qui les unissaient. Les courtiers immobiliers pourraient être appelés à conseiller un client se retrouvant dans une telle situation et les enseignements découlant de la décision Hengyun International Investment Commerce Inc. pourraient les inspirer.
Au moment de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire1 (le Décret) du 24 mars 2020, certains commerces ont subi une baisse de fréquentation de leurs établissements entraînant des pertes de revenus significatives, et ce, en raison de certaines restrictions et interdictions imposées par le gouvernement du Québec ou simplement du changement de comportement de leur clientèle étant donné la nécessité d’un confinement.
Dans cette situation exceptionnelle, certains locataires commerciaux ont interrompu le paiement de leur loyer suivant l’interdiction d’exercer leurs activités ou en raison de difficultés financières. Face à des locataires qui évoquaient l’exception d’inexécution par la force majeure dans le cadre de négociations ou de litiges, les parties à un bail commercial et leurs représentants pouvaient bénéficier des constats et de la conclusion de l’affaire suivante, soumise à la Cour supérieure dans le contexte de la pandémie.
Dans la cause Hengyun International Investment Commerce Inc. c. 9368-7614 Québec inc.2, le locataire, exploitant une salle d’entraînement physique sous le nom de NDG Fitness Center, est poursuivi par son locateur, notamment pour non-paiement du loyer de mars à juin 2020.
Le locataire alléguait être dispensé de payer son loyer pour cette période, car la salle d’entraînement qu’il exploitait a été forcée de fermer en raison du Décret. Ainsi, il évoquait que son incapacité à exploiter son commerce, et donc à générer des revenus permettant d’assumer son loyer, résultait d’une force majeure.
De son côté, le locateur niait l’argument de son locataire selon lequel les restrictions gouvernementales constituaient une situation de force majeure en spécifiant que, même si tel était le cas, une clause du bail prévoyant le paiement du loyer nonobstant une force majeure confirmait son droit d’exiger le versement de celui-ci.
Dans le cas présent, le tribunal a fondée son jugement sur le caractère imprévisible et irrésistible de la force majeure, tel qu’énoncé dans sa définition au Code civil du Québec3.
Dans un premier temps, la cour a reconnu d’emblée l’imprévisibilité des restrictions gouvernementales dans le contexte de la pandémie de COVID-19. En effet, une personne raisonnablement prudente et prévoyante ne pouvait s’attendre, au moment de la conclusion du bail, à ce que l’État interdise éventuellement l’exploitation des salles d’entraînement pour des raisons sanitaires d’urgence.
Dans un second temps, le critère d’irrésistibilité implique quant à lui une impossibilité absolue de réaliser son obligation. L’événement en cause doit empêcher de manière objective tout locataire québécois dans la même situation que NDG Fitness Center de payer son loyer afin d’être qualifié d’« irrésistible » conformément à la définition de force majeure. Le fait que l'obligation soit difficile ou trop onéreuse ne répond pas à ce critère. En conséquence, le juge a rejeté l’argument de la perte de revenus engendrée par la fermeture forcée du commerce, son impossibilité de payer le loyer relevant de sa situation financière particulière et non d’une force majeure. Autrement dit, le locataire ne pouvait se soustraire à son obligation de paiement du loyer en raison du Décret, car son manque de liquidités ne constituait pas une force majeure.
Contrairement aux prétentions des parties, la cour est arrivée à la conclusion que le locateur est la partie empêchée d’accomplir ses obligations pour cause de force majeure. En effet, le bail spécifiant que le local peut uniquement être exploité en tant que salle d’entraînement, le locateur s’est vu dans l’impossibilité de procurer la jouissance paisible des lieux à NDG Fitness Center en raison du Décret suspendant de telles activités.
Or, lorsqu’une obligation ne peut plus être exécutée par une partie en raison d’une force majeure, cette partie ainsi libérée ne peut exiger de l’autre partie l’exécution de l’obligation corrélative4. Ayant été empêché de fournir en temps opportun la jouissance paisible des lieux à son locataire en raison d’une force majeure, le locateur ne peut donc pas exiger son loyer en retour.
Dans les circonstances spécifiques à ce dossier, le tribunal est donc arrivé à la conclusion que le loyer des mois de mars à juin 2020 n’était pas dû par le locataire.
Consultez la décision intégrale.
1 Décret 223-2020 du 24 mars 2020
2 2020 QCCS 2251
3 1470 C.c.Q.
4 1693 et 1694 C.c.Q.