La sauvegarde des droits du locateur commercial en situation de pandémie : l’affaire Baie d’Hudson
Faisant suite à l'article Le loyer commercial en situation de pandémie : jugement à consulter, une saga judiciaire a provoqué des remous en apportant un éclairage sur les obligations des locataires commerciaux en matière de paiement du loyer dans le contexte de la pandémie de COVID-19.
En effet, les parties à un bail commercial placées dans une telle situation devraient analyser judicieusement le libellé de leur bail afin de déterminer si un arrêt de paiement du loyer y est interdit, nonobstant les répercussions entraînées par la pandémie de COVID-19, dont l’incapacité du bailleur à fournir la jouissance paisible des lieux ou d’opérer un centre commercial de premier plan.
En date du 1er avril 2020, la Compagnie de la Baie d’Hudson (ci-après : HBC) a cessé d’acquitter son loyer dans six centres commerciaux. Pour éviter que d’importants arrérages ne s’accumulent, les bailleurs se sont donc adressés d’urgence aux tribunaux afin de demander une ordonnance de sauvegarde visant à forcer le paiement complet du loyer jusqu’à ce que le litige se règle dans le cadre d’un procès ou d’un règlement hors cour.
Ainsi, dans les six causes semblables ayant fait l’objet du même jugement1, HBC justifie la suspension du paiement des loyers en donnant les deux raisons suivantes :
- Le bailleur ne pouvait se libérer de ses obligations concernant la jouissance paisible des lieux loués, laquelle a été troublée par la pandémie et les mesures sanitaires gouvernementales.
- Le bailleur n’avait pas accompli ses devoirs liés à l’exploitation des centres commerciaux de premier plan (first-class shopping center), notamment par des efforts marketing accentués dans l’objectif de rétablir l’achalandage à la suite de la baisse de fréquentation découlant de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire2.
Jugement sur la demande de sauvegarde
Sans se prononcer sur le bien-fondé des arguments d’HBC sur son droit à une réduction de loyer à cette étape des procédures, la cour s’est penchée sur le droit d’HBC de retenir la totalité de son loyer et du déséquilibre ainsi créé entre les parties, considérant le préjudice sérieux pour les bailleurs auquel il était urgent de remédier.
Dans ce cas d'espèce, la juge rappelle qu’HBC ne pouvait se faire justice elle-même en retenant son loyer unilatéralement comme elle l’a fait. En effet, ces parties bien informées et expérimentées avaient librement négocié une clause du bail obligeant le paiement du loyer « mensuellement et sans abattement, compensation ou déduction ». En conséquence, HBC avait renoncé en toute connaissance de cause à se prévaloir de l’exception d’inexécution, c’est-à-dire de refuser de payer le loyer tant que ses bailleurs ne fournissaient pas la jouissance paisible des lieux loués et des centres commerciaux de premier plan. Ainsi, HBC aurait dû saisir les tribunaux afin d’obtenir une réduction de loyer rétroactive.
Dans les circonstances spécifiques à ce dossier, le Tribunal en est donc arrivé à la conclusion que HBC devait acquitter 100 % des loyers futurs pour une durée maximale de six mois afin de rétablir un certain équilibre entre les parties pendant l’instance judiciaire et éviter que les arrérages ne s’accumulent par le simple écoulement du temps.
Jugement final
Dans le cadre de son jugement au fond du litige3, le tribunal s’est d’abord concentré sur le principe fondamental que l’obligation du locateur de procurer une jouissance paisible des lieux loués en est une de résultat, sous réserve de force majeure. De plus, s’il y a inexécution de cette obligation de résultat, le locataire a droit de demander une diminution de loyer.
Ainsi, si le locateur est libéré de son obligation en raison de force majeure, le locataire sera aussi libéré de son obligation de verser le loyer, comme lorsqu’un incendie ravage les lieux loués. De la même manière, le locateur ne pouvait procurer au locataire la jouissance paisible des lieux dans le contexte de la pandémie de COVID-19 puisque les mesures sanitaires interdisaient au locataire de pouvoir exploiter son magasin.
Pour ce qui est de la diminution du loyer juste qui résulte de cette perte de jouissance paisible, le tribunal a rejeté les pourcentages arbitraires proposés par HBC, jugeant qu’il faut établir les pourcentages de perte de jouissance en tenant compte de la façon que le loyer est ventilé :
- Lorsque le centre commercial et les magasins furent fermés : HBC avait droit au remboursement de 100 % des coûts d’entretien des installations communes (Common Facilities Maintenance Costs ou CFMC) puisque HBC et sa clientèle ne pouvaient accéder au magasin et aux centres commerciaux. Aucune réduction n’a été accordée pour le loyer de base et les taxes immobilières liées au magasin puisque HBC avait une jouissance paisible des locaux conformément aux termes des baux.
- Lorsque le centre commercial fut fermé, mais que le magasin resta ouvert : HBC avait droit au remboursement de 75 % des CFMC puisqu’elle-même et sa clientèle n’avaient pas accès au centre commercial et aux services, mais avaient accès aux stationnements.
- Lorsque le centre commercial et le magasin furent ouverts : HBC n’avait droit à aucune réduction en ce qui concerne le loyer de base, les taxes immobilières ou les CFMC.
Finalement, en ce qui a trait aux obligations d’opérer le centre d’achats comme un centre commercial de première classe, le tribunal a statué qu’il s’agit effectivement d’une obligation de résultat, la clause étant formulée en termes impératifs. Cela étant, HBC ne s’est pas déchargée de son fardeau de prouver que le locateur a manqué à cette obligation de résultat en absence de preuve que n’importe quel centre d’achats de première classe opérait de façon différente.
Consultez la décision intégrale intérimaire et la décision finale.
1 Tremblay c. Hudson's Bay Company, 2020 QCCS 3946, Tremblay c. Hudson's Bay Company, 2020 QCCS 3947, Tremblay c. Hudson's Bay Company, 2020 QCCS 3948, Dorval Property Corporation c. Hudson's Bay Company, 2020 QCCS 3951, 9257-4748 Québec inc. c. Hudson's Bay Company, 2020 QCCS 3944 et Galeries de la Capitale Holdings inc. c. Hudson's Bay Company, 2020 QCCS 3945.
2 Décret 223-2020 du 24 mars 2020.
3 Fonds de placement immobilier Cominar c. Compagnie de la Baie d’Hudson, 2024 QCCS 111